J’aimerais vous partager, en quelques mots seulement, faute de temps, certaines de mes lectures des dernières semaines.
D’abord Le Royaume d’Emmanuel Carrère (Éditions P.O.L., 2014).
Une sorte de chronique (beaucoup plus qu’un roman) de la quête personnelle de l’auteur pour essayer de dire, le plus honnêtement possible (ce qui n’empêche ni un certain narcissisme, ni le cabotinage occasionnel), où il en est dans sa recherche personnelle de sens et dans ses rapports avec le christianisme, l’Église, l’Évangile et la religion en général.
Parcours peu banal que celui de l’auteur: chrétien dans sa jeunesse qui, rapidement, abandonnera tout rapport avec le religieux, il se « convertira » au début des années 90, alors que sa carrière littéraire connaît déjà un bon succès. Il devient alors un chrétien fervent, méditant et écrivant chaque jour sur l’évangile de Jean, pendant environ trois ans… avant d’abandonner à nouveau cette « croyance » aussi mystérieusement qu’elle lui était venue. Et malgré cette incroyance professée, il participe, avec une grande majorité d’autres écrivains non croyants couplés chacun avec un exégète reconnu, à la « nouvelle traduction de la Bible » publiée par Bayard en 2001. Puis il consacre environ sept années de travail à la rédaction du « Royaume » qui devait d’abord s’intituler « L’enquête de Luc ».
Bref, sur plus de 600 pages qui se lisent avec un grand bonheur, qu’on soit croyant ou pas, pour peu que le sujet de nous rebute pas, Carrère retrace les cheminements possibles ou probables des premières communautés de disciples de Jésus de Nazareth, en suivant particulièrement le parcours de Luc (l’auteur qu’on attribue aux Actes des Apôtres, puis à l’évangile qui porte son nom), et donc le parcours de Paul, « l’apôtre des païens », dont on dit que Luc fut le secrétaire.
Carrère est transparent. Il nous emmène avec lui, partageant à la fois ses défis d’écritures, ses découvertes de recherches, ses amitiés ou son histoire personnelle, ses émerveillements et ses doutes, les formidables défis de toute traduction biblique, tout en suivant presque pas à pas Paul et Luc, et à travers eux l’Église de Jérusalem, les empereurs, consuls et pro-consuls romains, les diverses communautés d’Asie mineure auxquelles Paul adresse ses « lettres », les rivalités entre croyants d’origine juive et croyants d’origine grecque, etc. etc.
Une grande histoire, dans tous les sens du mot, à la fois littéraire, historique et religieuse. Un voyage passionnant qui ne peut manquer de nous interpeller sur nos propres croyances, doutes et certitudes.
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Ensuite, Le journal de Lisée, 18 mois de pouvoir, mes combats, mes passions, de Jean-François Lisée, L’Actualité politique, Éd. Rogers, 2014, 335 pages.
Écrit et publié au moment où l’auteur réfléchissait à la possibilité de se présenter comme candidat à la direction du Parti québécois (ce qu’il a finalement fait, avant de se désister quelques mois plus tard, devant le résultat inéluctable de la course selon lui), ce livre mérite à mon avis d’être lu, bien au-delà du coup de pouce qu’il aurait pu donner à sa campagne potentielle au leadership.
C’est en effet sans doute le compte-rendu le plus proche et le plus accessible qu’on aura jamais à ce que c’est que de faire de la politique active dans notre pays. À cause du rôle qu’il a joué en politique depuis une vingtaine d’années, tant comme journaliste que comme proche conseiller de MM. Parizeau et Bouchard comme premiers ministres du Québec, comme écrivain et commentateur politique, puis comme député et ministre sous le gouvernement de Mme Marois, Jean-François Lisée a eu la chance de côtoyer, d’influencer et d’exercer le pouvoir comme bien peu de Québécois dans notre histoire. Et comme il est non seulement très intelligent mais également très « public » (c’est-à-dire intéressé à partager publiquement ses expériences, ses réflexions et ses propositions), personne ne pourra sans doute mieux que lui nous faire partager les défis, les dilemmes, les débats, les succès et les échecs que vivent les hommes et les femmes qui prennent la responsabilité de nous diriger.
Écrit après la terrible débâcle du Parti québécois du 7 avril 2014, l’ouvrage se veut à la fois une réflexion utile sur les multiples causes et leçons de cette raclée électorale, en même temps qu’un retour sur les 18 mois d’exercice du pouvoir du gouvernement Marois et que des propositions pour la renaissance du Parti et le succès éventuel de l’option souverainiste à laquelle Lisée n’a jamais cessé de croire.
Écrit d’une plume alerte (ça se lit vraiment très bien) et donnant souvent accès à ses archives personnelles (tout en respectant la confidentialité ministérielle à laquelle il s’est engagé), Lisée ne fait aucun mystère de ses suggestions (retenues ou rejetées), de ses préférences, ni de sa grande admiration et de son grand respect pour sa chef de Parti, Mme Marois.
Composé d’une vingtaine de chapitres sur autant de thèmes et non dépourvu d’une saine autodérision, le livre se termine sur une belle synthèse intitulée « Ce que je suis, ce que je sais, ce que j’ignore, ce que je crois ».
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Puis Demain, il sera trop tard, mon fils (Éditions Stanké, 2014, 333p.) de l’écrivaine et journaliste québécoise Lucie Pagé, livre co-écrit avec son fils aîné Kami Naidoo-Pagé, et quelques interventions éclairantes de son mari, Jay Naidoo qui fut secrétaire-général fondateur du Congrès des syndicats sud-africains et plus tard ministre dans le gouvernement Mandela.
Ce dialogue intergénérationnel sur le monde que nous nous apprêtons à laisser à nos enfants n’est pas banal. Axé principalement sur les défis de l’environnement, le livre aborde également les questions d’injustices, de cupidité et de corruption, de nutrition, de spiritualité et de religion, de valeurs et finalement du rôle des jeunes.
Pour un jeune de 22 ans ayant grandi dans l’entourage immédiat de Nelson Mandela, ayant connu l’espoir comme les défis de la construction d’une nouvelle Afrique du Sud, ayant eu la chance d’étudier aussi bien dans son pays natal qu’au Québec et de voyager dans de nombreux pays du monde, en particulier pour se faire une idée personnelle, comme jeune adulte, des grands problèmes auxquels nous devons faire face, l’échange épistolaire entrepris avec sa mère ne peut être que d’une richesse exceptionnelle.
Comme l’écrivait, à sa manière inimitable, Josée Blanchette dans sa chronique du 27 mars dernier, « il y a un dicton sud-africain qui dit : « Si la vérité fait mal, le silence tue. » Demain, si rien n’est fait, nous serons des réfugiés du silence. » Et elle recommandait chaudement la lecture du livre en ajoutant que « ce qui différencie ce livre de toutes les thèses écolos habituelles, c’est son humanité et la filiation, la conversation
intergénérationnelle. »
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Et maintenant, de l’écrivain et philosophe français Frédéric Lenoir, Comment Jésus est devenu Dieu (Éditions Fayard, 2010, 325 pages).
Frédéric Lenoir, qui a longtemps dirigé la revue mensuelle « Le Monde des religions », a beaucoup écrit (romans, scénarios de BD, essais, livres d’entretiens, direction d’ouvrages encyclopédiques) en plus de réaliser et de produire pour la radio.
Il était récemment l’un des intervenants français (avec Éric-Emmanuel Schmitt, André Comte-Sponville et Jean-Claude Guillebaud) dans le remarquable documentaire québécois « L’Heureux naufrage » du cinéaste Guillaume Tremblay et il était l’invité de Tout le monde en parle pour parler d’un de ses récents livres: Du bonheur: un voyage philosophique.
Dans son livre « Comment Jésus est devenu Dieu », l’auteur retrace l’histoire de cet élément du dogme chrétien selon lequel Jésus est vraiment homme et Dieu, histoire dont on connaît la conclusion et que les croyants prennent maintenant pour une « vérité évidente », mais qui fut au contraire le sujet d’âpres querelles pendant les cinq premiers siècles qui suivirent la vie de Jésus de Nazareth.
Une histoire passionnante à relire maintenant, pour comprendre comment l’héritage chrétien s’est peu à peu constitué au fil du temps et comment nos « vérités » sont tout sauf des évidences. Et cette conscience du processus historique et humain à travers lequel les croyants entendent « la Parole de Dieu » est particulièrement utile en ces temps de profonds bouleversements culturels et civilisationnels. Des mises en perspectives essentielles pour renouveler notre foi d’aujourd’hui.
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Et pour finir, Pacifistes, Les combattants de la paix au XXe siècle, de Farid Abdelouahab (Éditions de La Martinière, 2013, 192 pages grand format).
Voilà ce qu’on classe dans la section des « Beaux Livres » (généralement à l’occasion des Fêtes, pour offrir en cadeau), ou en anglais, un « coffee table book » (de ces livres qu’on laisse traîner sur la table du salon, puisqu’ils sont autant à regarder qu’à lire).
Livre de photos, d’images, d’illustrations diverses autant que de mots, de courtes biographies autant que d’encadrés significatifs, ce livre est une oeuvre d’art en même temps qu’un rappel toujours plus urgent et nécessaire que « la paix devrait être la règle, et non l’exception ».
Retraçant par le texte et par l’image les contributions d’une trentaine de grands noms de toutes les provenances, en plus d’une vingtaine d’événements significatifs qui ont jalonné le XXe siècle pour y rappeler les exigences de la paix ou mettre en garde contre les dérives et les abominations de la guerre, des diverses guerres, ce livre devrait nous accompagner en permanence.
À la fois pour nous rappeler à l’ordre devant nos innombrables passivités ou compromissions avec les conflits innombrables qui déchirent encore notre planète en ce moment-même (dont la « guerre au terrorisme » n’est que la plus récente expression) et pour nous rappeler la longue filiation qui nous relie à ceux et celles qui, au fil des années, n’ont cessé de mener cette « guerre à la guerre », cet indispensable combat pour la paix.
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Bonne lecture!
Permalien
C est toujours un grand plaisir de recevoir vos commentaires….merci
Permalien
Merci pour ces critiques. De bonnes idées de lecture, malheureusement ma liste de est déjà assez garnie et je devrais en avoir pour quelques années. La seule chose de sûre c’est qu’on arrivera jamais au bout de ce désir de connaître, de découvrir ou tout simplement d’entrevoir.
En ce moment j’essaie de terminer Les Bienveillantes de Jonathan Littell, tout un défi.
Difficile de faire face au côté sombre de l’homme.
À bientôt!