L’humilité n’est pas un mot à la mode. Pas plus que l’inutilité, l’ordinaire ou l’anonyme. Surtout pas en cette période de Jeux Olympiques qui n’en a que pour les vainqueurs, les records ou l’exceptionnel. Et pourtant je veux ici faire l’éloge du petit, de l’oublié, de l’inaperçu. Car ils sont pour moi l’essentiel.
Nous vivons dans un monde du paraître, du vedettariat, de ce qui réussit à « faire la nouvelle ». Peu d’événements symbolisent mieux cela que les Jeux Olympiques : des cérémonies d’ouverture au tableau des médailles, des rivalités nationales aux exploits individuels, de la couverture médiatique aux commanditaires accrédités.
Des millions d’athlètes qui se seront durement entraînéEs, pendant des années, pour tenter de « faire les Jeux », et des milliers qui auront finalement été sélectionnéEs par leur pays pour y participer, on n’entendra parler que d’une petite poignée qui se seront distinguéEs du lot, soit par leur accession au trois marches du podium, soit par une histoire personnelle qui aura attiré l’attention des médias.
Pourtant, pour le rénovateur des Jeux, Pierre de Coubertin, « l’important n’était pas de gagner mais de participer ». Le vrai sens des Jeux, et pas seulement lors du défilé des athlètes pour les cérémonies d’ouverture et de clôture, ce sont ces milliers d’hommes et de femmes qui se mesureront, dans l’ombre et l’anonymat relatifs, hors des « heures de grande écoute » et de la cérémonie des médailles. D’ailleurs, les Jeux n’existeraient tout simplement pas s’ils ne reposaient que sur leurs champions.
Ce sont touTEs ces inconnuEs, ces oubliéEs, ces discretEs, qui sont pour moi l’essentiel de notre monde : en matière olympique ou sportive comme dans le reste de la société.
D’abord parce que le monde n’existerait tout simplement pas sans eux et elles : aucune entreprise ne fonctionnerait que par ses dirigeantEs ou ses innovateurs vedettes. Pas plus qu’aucune collectivité n’existerait que par ses leaders ou ses responsables.
Mais aussi parce que la vie est avant tout « normalité », ordinaire, commune, quotidienne. Et non pas exception, rareté, extra-ordinaire. La vie est beaucoup plus l’humble fonctionnement de l’organisme humain, le cycle régulier des saisons, le mouvement prévisible des astres et des planètes que les prouesses exceptionnelles d’un individu, les catastrophes imprévisibles ou les phénomènes occasionnels. Ce sont ces derniers qui font les manchettes. Mais ce sont les premiers qui font la vie et toute sa richesse.
Notre monde valorise la performance, l’excellence, les « meilleurs ». Je choisis de privilégier les gens ordinaires, ouverts et généreux, simples et solidaires, qui font patiemment avancer la « marche du monde ». La petite contribution de chacunE. Le sourire, la fleur, une odeur parfumée, un oiseau qui chante, l’ombre qui s’allonge, un simple geste de partage.
Comme celui de Gilmore Junio qui laisse sa place à Denny Morrison sur la ligne de départ du 1000 mètres en patinage de vitesse longue piste. Pour moi, l’essentiel c’est l’offre de Junio, plus que la victoire de Morrison.
(Publié le 13 février dans Les 7 du Québec)