Mon ami Jacques Fournier a choisi de «soudainement quitter son monde» le 29 novembre 2016. À la totale surprise et à la grande tristesse de ses proches, de ses amis et des ses très nombreux camarades d’engagements et de combats.
Son geste, incompréhensible, nous a profondément troublés. Comme bien d’autres, j’en suis convaincu, je me suis demandé, pendant des semaines et des mois, pourquoi. Contrairement à d’autres, j’ai pris le temps et la peine de consigner par écrit les fruits de cette interrogation de diverses manières.
D’abord, quelques jours après sa mort, à l’occasion de la petite cérémonie qui s’est déroulée au salon funéraire pour saluer son départ: ce texte, du 10 décembre, se trouve à la fin de ma première lettre à Jacques, datée du 20 décembre. Ensuite, dans cette première lettre adressée à Jacques, que je n’ai d’abord partagée qu’avec sa compagne, Hélène, et ses deux filles, Anne-Marie et Isabelle; puis, avec leur autorisation, avec quelques amis proches de Jacques. Puis, à travers un texte écrit pour le lancement du livre posthume de Jacques, le 16 mai dernier, dont j’assurais l’animation. Et enfin, hier seulement, en adressant une seconde (et dernière) lettre à Jacques, à l’occasion du septième mois de son décès tragique.
J’avais, dès ma première lettre, demandé à Hélène sa permission d’en publier le texte sur mon site internet. Connaissant bien les conséquences, bonnes comme mauvaises, de l’univers numérique, Hélène m’avait aimablement répondu:
«Je veux te remercier avant tout pour la délicatesse que tu as de me consulter. J’ai senti dans ton texte beaucoup de respect, d’humanité et d’amour. De ce fait je veux bien que tu le publies sur ton blogue.
Je ne cacherai pas que j’ai encore de la difficulté à parler du suicide de Jacques même si je ne le cache pas. J’ai aussi la crainte que ton texte soit repris et publié par d’autres et ainsi d’en perdre le contrôle. Mais je te fais confiance.»
J’avais choisi, à l’époque, d’attendre avant de le mettre en ligne. Quand j’ai rédigé ma seconde lettre à Jacques, six mois après la première, je l’ai à nouveau adressée à Hélène, sa famille et ses amis proches. Tout en redemandant à Hélène si elle maintenait toujours son autorisation originale: elle m’a réitéré son accord.
Je vous livre donc ici tous ces textes, dans l’ordre chronologique (sauf pour le premier, inclus dans le second). Dans l’espoir que cela puisse nourrir la réflexion sur ce mystère de la vie que révèle toujours, en creux, le suicide d’un être cher, que cela puisse aider certains amis et proches de Jacques à faire leur deuil, et que cela puisse peut-être contribuer, modestement, à la terrible et inévitable question du pourquoi.
***
Scotstown, le 20 décembre 2016
Mon très cher Jacques,
Je profite de ton anniversaire (tu aurais eu 69 ans) ces jours-ci pour t’écrire cette lettre qui me hante et me poursuit depuis que tu as «soudainement quitté ton monde» (comme le formule bellement ta notice nécrologique) le 29 novembre dernier.
Cher ami de plus ou moins 45 ans, qui avait pris l’initiative, depuis quelques années, de nous réunir autour d’un dîner au restaurant quatre ou cinq fois par année, pour discuter de tout ce qui compte dans nos vies (de «changer le monde» à nos petits-enfants, en passant par les bobos du vieillissement, les questions philosophiques et l’inusable espoir de l’engagement), permets-moi amicalement de te dire que tu nous as joué «un sale tour». Qu’il est encore bien difficile, pour beaucoup d’entre nous, d’accepter faute de pouvoir le comprendre. Non seulement en quittant bien prématurément (sur cela, nous n’avons pas vraiment de mot à dire), mais surtout en choisissant de partir.
Pour moi et plusieurs autres, c’est un double deuil que nous avons à faire, aussi difficiles et indispensables à faire l’un que l’autre. Celui de ta mort soudaine et imprévue, qui nous prive qui d’un conjoint, d’un père ou d’un grand-père, qui d’un ami, d’un collègue, d’un penseur, d’un mentor ou, pour tellement d’autres, d’un camarade d’engagements. Et celui, bien distinct mais inséparable, de ton choix infiniment mystérieux de quitter la vie.
Toute vie humaine est, pour l’essentiel, un mystère. Même quand on dispose, sur la personne, de nombreuses ou exhaustives biographies! Ta vie, cher Jacques, n’échappe pas à la règle. Et si nous sommes très nombreux à nous remémorer mille souvenirs, textes ou combats partagés, personne ne pourra jamais prétendre t’avoir connu tout à fait, dans chacune de tes réflexions ou chacun de tes questionnements. Devant ce mystère, on ne peut que s’incliner. Je m’incline donc…
Mais, Jacques, tu as été pour plusieurs d’entre nous un modèle à bien des égards: modèle de vie de couple et de famille (du moins de ce qu’on voyait de l’extérieur), modèle de travailleur, modèle de citoyenneté active, modèle d’intervention dans les débats publics, modèle de militance et d’engagements (sur tellement de fronts). Et c’est entre autres pour cette raison que ton dernier «choix de vie» nous questionne tant.
Quoi qu’on dise, le suicide n’est jamais seulement un choix individuel. Non seulement parce qu’il a un impact direct et indirect sur une foule de personnes qui doivent subir les conséquences d’un tel choix, mais également parce que «nul n’est une île» et que les choix de l’un interpellent inévitablement ceux qui l’entourent.
C’est pour cela que je suis habité, inlassablement depuis ton départ, par la question: «Qu’est-ce que Jacques cherche à me (nous) dire à travers ce choix?» Tu étais trop réfléchi, méthodique, philosophe, pour «parler pour ne rien dire»: nos innombrables discussions en témoignent éloquemment! Et ce serait te faire affront que de ne pas prêter minimalement attention à ce que tu essaies (peut-être) de nous dire à travers cette dernière parole ou prise de position.
Jacques, je suis bien conscient que je (nous) ne trouverai sans doute jamais «la» réponse à cette question. Mystère de la vie (de la Vie?), comme je l’écrivais plus haut. Et à moins que tu n’aies laissé une note bien explicite (ce qui ne semble pas être le cas), nous en serons tous quittes pour chercher, faire des hypothèses, éliminer ou privilégier certaines pistes. Mais n’est-ce pas là le sens même de la philosophie, que tu aimais tant?
Alors quoi, Jacques?
On ne quitte pas délibérément la vie seulement parce qu’on s’est méchamment fracturé la mâchoire et qu’on est réduit au silence et à la nourriture liquide pour deux mois. J’en sais quelque chose: l’un de mes fils est passé par là, vers l’âge de 20 ans. C’est dur, c’est long, mais ça n’est pas désespérant. D’autant plus que dans l’un de tes derniers courriels, le 21 novembre, tu annonçais que «le médecin va m’enlever mes vis et élastiques quelque part entre le 6 et le 20 décembre. J’ai hâte!»
Bien sûr, rien n’exclut que cet accident du 22 octobre ait eu lieu dans un contexte difficile que nous ne connaissons pas (votre dernier voyage, encore tout récent, en Angleterre et en Irlande risquait peut-être, selon Hélène, d’être votre dernier, parce que c’était devenu trop fatigant pour vous — pour toi?). Comme rien n’exclut que ce mois et plus de douleurs, d’opérations, de visites à l’hôpital, de silence forcé et de médicaments ait pu user tes forces et tes convictions plus qu’on ne le soupçonne (qui sait ce qui peut se passer au fond de soi quand les pensées dépressives s’insinuent —surtout que tu avais apparemment choisi de «ne pas communiquer» avec l’extérieur, même par écrit? Je peux en témoigner pour être moi-même passé par la dépression à plus d’une reprise.).
Ton geste va tellement à l’encontre de tout ce que tu as représenté, pendant 68 ans, pour la plupart d’entre nous que nous ne pouvons qu’être perplexes: tu étais l’optimisme incarné (parfois même sur le bord du jovialisme, entre autres en matière d’indépendance et de souveraineté); tu voyais —ou choisissais de voir— systématiquement la partie pleine du verre, même quand c’était bien moins que «la moitié», plutôt que sa partie vide; tu valorisais et appréciais la «bonne vie» plus que la moyenne des militants (ce que je t’enviais grandement et qui me servait de modèle), que ce soit une bonne bouteille, un repas entre amis, une rencontre familiale ou la «garde» de tes petits-enfants; tu militais inlassablement, contre vents et marées, sans jamais (en apparence du moins) te laisser décourager par les reculs ou les innombrables «réformes du réseau» imposées au secteur de la santé qui t’était si cher. Bref, tu étais pour beaucoup d’entre nous un de ces «rocs» sur lesquels il fait bon s’appuyer pour reprendre souffle, évaluer la situation, puis repartir au combat. Un peu comme Guy Lafleur, ce militant de la solidarité internationale et politique, que tu as connu et qui nous a quittés, dans les mêmes circonstances et la même incompréhension totale en octobre 1997: de lui on avait dit, pour tenter de faire du sens de sa mort précipitée, qu’il était de la famille des chênes, ces grands arbres apparemment indéracinables, qui ne plient même pas dans la tempête, mais qui peuvent paradoxalement «casser d’un seul coup».
Alors quoi, Jacques?
Il reste une avenue à explorer, qui me poursuit insidieusement depuis trois semaines: ton départ peut-il avoir été un «choix» ou une affirmation philosophique? Une déclaration en acte sur le sens de l’existence ou de la vie?
Je viens d’aller relire ton texte publié dans le dossier «Avec ou sans Dieu» de la revue Possibles à l’été 1999. Intitulé «Du côté de l’intériorité, j’écris pour chercher», tu te disais plus agnostique qu’athée, adepte d’une sorte de Dieu-force découvert à travers ta fréquentation de la philosophie africaine. Citant abondamment Sartre, Camus et Karl Jaspers, tu semblais dire que si la vie est absurde, il faut quand même agir. Et que condamné à la liberté et à la responsabilité, l’homme peut trouver du sens dans l’amour (les trois «amours» décrits par Comte-Sponville que tu découvrais à l’époque) et de quoi se lever le matin dans une foule de raisons que tu énumérais: «En vrac, rencontrer des gens, partager, travailler en équipe, être utile, agir, me battre, écrire et publier, lire, parler à mes enfants, à ma conjointe, à mes amis et amies, avoir du plaisir, travailler à changer des choses, vivre dans un pays à bâtir. Et aussi tenter de répondre aux questions suivantes: qu’est-ce que je vais apprendre aujourd’hui? Qu’est-ce que je vais découvrir sur moi (le «Connais-toi toi-même» de Socrate)? Quelle nouvelle personne vais-je rencontrer au cours de cette journée? C’est parfois la curiosité, et une certaine recherche d’émerveillement devant la vie en général, qui m’incite à me lever le matin. Il y a aussi parfois un sentiment de colère face à quelque injustice ou à quelque situation inacceptable qui me donne ardemment l’envie de me lever.» (pages 22-23).
Alors pourquoi? Hanté par la question, je suis allé (brièvement) questionner Spinoza et Comte-Sponville, deux de tes philosophes préférés ces dernières années. Sans réponse claire, je dois l’avouer.
Spinoza, pour qui le conatus est l’effort de persévérer dans son être, ne voit pas, comme les stoïciens, le suicide comme «la manifestation ultime de la liberté», mais plutôt comme «la conséquence d’un état de servitude de l’homme soumis à des causes externes qui s’opposent au conatus». Pour Spinoza, «un homme libre ne pense à rien moins qu’à la mort». On ne pourrait donc trouver chez Spinoza de justification philosophique du suicide, bien que certains biographes croient qu’il se serait lui-même suicidé avec l’aide de son médecin pour abréger les souffrances de l’affection pulmonaire qu’il avait contractée. De même, le philosophe français Gilles Deleuze, grand spécialiste de Spinoza, s’est lui-même suicidé, à 70 ans, quand il a jugé sa maladie respiratoire insupportable.
J’ai aussi cherché ce que Comte-Sponville pouvait dire du suicide. Seule chose éclairante que j’ai trouvée, sa position claire au sein du Comité national d’éthique de France où, contre l’avis de la majorité, il défend depuis plusieurs années le droit à l’euthanasie.
Qu’en déduire pour la question que tu me (nous) poses? Qu’il est possible qu’ayant reçu, récemment, un diagnostic médical sérieux ou fatal, surtout si c’était à plus ou moins court terme et avec une perspective de dégénérescence et de perte d’autonomie inévitables, tu aies décidé que malgré tous tes amours et tes idéaux, la vie, de ton point de vue, ne vaille plus la peine d’être vécue. Et que tu aies choisi de recourir à «l’aide radicale à mourir» (pour reprendre l’expression imagée d’un de tes amis) pendant que tu en étais encore capable, pour éviter à tout prix le sort de ta mère que tu as décrite, il y a quelques années, comme ayant souhaité et attendu la mort dans un CHSLD pendant… huit ans!
Nous avions débattu, lors de l’un de nos derniers «dîners» ensemble, de l’aide médicale à mourir que le gouvernement québécois venait alors d’adopter. Je ne me souviens plus avec précision des positions que tu défendais alors. Mais je crois me rappeler que tu étais plutôt ouvert à la chose. Sans qu’aucun de nous puisse imaginer, à l’époque, que nous pourrions y être confrontés nous-mêmes, et bien plus tôt que prévu.
Ce questionnement a-t-il fait partie, mon cher Jacques, de tes dernières semaines, de tes derniers jours? Nous ne le saurons peut-être jamais. Si tel est le cas cependant, tu me permettras d’être respectueusement, mais vigoureusement, en désaccord avec toi (comme nous avons pu l’être sur diverses questions). Pas tant pour des raisons morales, religieuses ou philosophiques (qui pouvaient nous séparer, d’un commun accord), que pour des raisons d’amour et d’affection: toi qui étais, dans toute ta vie, une incarnation particulièrement exemplaire de l’altruisme, tu aurais, pour cette seule décision (capitale et infiniment personnelle, il est vrai), décidé d’imposer ta volonté et ton choix individuel à tous ceux et celles qui t’entouraient et qui t’étaient les plus chers?
Très cher Jacques, je m’arrête ici. Non pas que j’aie (encore) fini de cherché du sens et des réponses à cette question muette que tu me (nous) poses. Mais je pense avoir complété un premier tour un peu systématique de la question, avoir essayé honnêtement de t’entendre et tenté de te suivre à la trace. Sans juger, mais non sans tristesse. En acceptant, aussi difficile que cela puisse être, qu’ultimement c’était toi (ce mystère), ta vie et ton choix…
Et que ce dernier choix, aussi questionnant qu’il demeure, n’enlève RIEN, pas un seul iota, à l’immense héritage que tu nous laisses, humainement, individuellement et collectivement. Un héritage qu’il nous appartient maintenant, à chacun et chacune, de porter plus loin dans ce monde que tu as tant aimé.
Je me permets, en terminant, de recopier ici le petit mot que j’avais préparé, samedi matin le 10 décembre, pour l’hommage collectif que nous t’avons rendu, tous ceux et celles qui étaient présents ce matin-là, et tellement d’autres qui n’avaient pas pu y être mais qui partageaient tout à fait les sentiments exprimés au moment de te quitter.
Nous nous retrouvons tous et toutes, ce matin, devant le mystère de la Vie…
Et ce mystère, chacun de nous l’appréhende différemment: Jacques et moi en avons souvent discuté et chacun respectait profondément la position de l’autre…
C’est Jacques qui m’avait sollicité pour participer, avec lui, au numéro de la revue Possibles sur le thème «Avec ou sans Dieu» en 1999…
Y a-t-il un «sens» à l’aventure humaine? Certains croient que oui, d’autres que non, et d’autres encore ne savent pas…
Je m’autorise de l’invitation de Jacques, il y a 17 ans, et de la permission d’Hélène, ce matin, pour partager avec tous, sans exception, ma conviction profonde que le grand amour de Jacques a un sens. Le grand amour de Jacques, celui qu’il a eu pour la vie, pour sa famille, et pour l’ensemble des humains à travers ses multiples engagements, et le grand amour de Jacques, celui que nous avons eu pour lui.
L’homme de Nazareth d’il y a 2000 ans est venu annoncer une Bonne Nouvelle: celle que la Vie est plus forte que la Mort; celle que l’Amour est le sens de la Vie; et celle que l’Amour est offert à tous et à chacun, maintenant et toujours…
Merci Jacques d’avoir été, à ta façon, un témoin de cet Amour!
Dominique***
MOT DE BIENVENUE
AU LANCEMENT DU LIVRE DE JACQUES FOURNIER
(16 mai 2017)
Bonsoir et bienvenue à tout le monde : membres de sa famille, amiEs et collègues de Jacques, de l’homme concret et oh combien chaleureux, mais aussi du militant, de ses idées et de ses engagements.
Ce qui nous rassemble ce soir, c’est précisément cet homme d’écriture et d’engagements, comme il l’a été toute sa vie. Aussi bien dans les domaines de la solidarité internationale (c’est là que je l’ai connu au début des années 70), que dans le secteur de la santé, en faveur de la souveraineté ou dans la promotion de l’amour pour un véritable partenariat d’égalité entre les hommes et les femmes.
Jacques voulait laisser en héritage à ses petits-enfants sa conviction que l’engagement est une des clés pour le bonheur et le sens de la vie. Ce n’est pas pour rien qu’il avait fait (et réalisé) le projet de ce livre intitulé : S’engager! Pourquoi, comment? et sous-titré Matériaux de réflexion à l’intention de mes petits-enfants.
Jacques a vécu cet engagement toute sa vie, jusqu’à la fin, et bien après la retraite. D’autres diront tantôt, mieux que moi, le contenu du livre et de ses multiples engagements.
Je me contenterai personnellement, en mon nom et en celui de ses proches, de dire ici que l’engagement a un prix, parfois lourd. Comme le clown qui cache parfois une tristesse, le militant peut avoir, en privé, ses doutes et ses fatigues. Le philosophe italien Gramci, cité par le grand sociologue militant Jean Ziegler, disait qu’il fallait «avoir le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté.»
Jacques n’était pas un héros, il le disait parfois. Même si, pour plusieurs d’entre nous, il était l’objet d’admiration ou servait d’exemple ou de mentor. Lui qui était, par excellence, un homme de mots et d’optimisme, n’a pas toujours su, comme chacun d’entre nous, être à la hauteur de ses idéaux poursuivis. L’anagramme du mot «milite» n’est-il pas justement le mot «limite»? Deux mots qui sont pour tous bien difficiles à concilier.
Enfermé dans le silence que suggéraient les broches de ses mâchoires, Jacques a choisi de «quitter son monde» il y aura six mois dans deux semaines. Parce qu’on meurt du non-dit. Au sens propre, comme au sens figuré.
Mais la mort n’est pas la fin de tout. Et pour Jacques, elle n’aura pas le dernier mot. Au sens propre, comme au sens figuré.
Comme le disent si bellement nos amis Latino-Américains, Jacques est vivant : PRESENTE! Dans ses mots, dans son livre et dans notre souvenir.
Merci, Jacques, de nous rassembler une dernière fois autour de toi.
***
MOT DE LA FIN
AU LANCEMENT DU LIVRE DE JACQUES FOURNIER
(16 mai 2017)
J’aimerais emprunter à Jean Ferrat les mots d’une de ses si belles chansons pour nous relancer vers toutes ces tâches que Jacques nous laisse en héritage :
C’est un joli nom Camarade,
C’est un joli nom, tu sais
Qui marie cerise et grenade
Aux cents fleurs du mois de mai…
Jacques a été pour beaucoup d’entre nous un camarade. Camarade, il le demeure à sa façon. Et nous invite à poursuivre tous ces combats et ces engagements qu’il a menés. À travers nos échanges, nos connivences et nos amitiés…
Bonne fin de soirée.
***
Scotstown, le 30 juin 2017
Mon cher Jacques,
C’était hier la date anniversaire de ton départ précipité : sept mois déjà!
J’en profite pour t’adresser cette seconde lettre depuis longtemps promise et différée : que veux-tu, le temps passe si vite dans le monde des vivants, et bien des bonnes intentions «meurent au feuilleton» comme on dit des projets de lois en langage parlementaire.
Le temps a passé depuis ta décision subite (imprévisible?) de «quitter ton monde». Le mystère n’est pas moins entier sur ce qui peut amener une personne à poser un tel geste radical et sans retour. Surtout quand cette personne n’est connue, de tous, que pour sa bonne humeur, son engagement indéfectible, son amour de la vie et de la famille, et son optimisme… indécrottable (en particulier en matière de souveraineté!).
Alors?
J’ai beaucoup essayé de comprendre ton geste, d’en décoder le sens caché, de te rejoindre si possible dans ce(s) moment(s) fatidique(s). Ma première lettre (celle du 20 décembre dernier) en témoigne. J’ai essayé, mais en vain.
Mon frère nous demandait, un soir où nous parlions de toi : «Vous est-il déjà arrivé que les deux fils se touchent?», faisant évidemment allusion au court-circuit provoqué par deux fils électriques. Je crois maintenant, sans plus de certitude qu’auparavant, que c’est tout simplement, et mystérieusement, ce qui s’est produit le 29 novembre 2016 : pour des raisons qui resteront sans doute toujours inconnues, tes deux fils se sont touchés et la situation est devenue intolérable, sans issue. Et tu as posé ton geste, quel qu’il soit.
Pour les tiens, tes proches, tes amiEs et tes camarades, cela demeure à la fois bouleversant, troublant et inexplicable. Triste (à en mourir), questionnant, mais aussi appel (désespéré?) à la vie, à la Vie.
Je ne peux parler que pour moi. Mais peut-être aussi mettre des mots sur ce que d’autres ressentent également. J’accepte maintenant de ne pas comprendre : ta mort demeurera un trou noir dans une vie lumineuse. J’en resterai toujours un peu triste. Mais je refuserai d’en mourir pour y entendre plutôt cet appel à vivre : à vivre plus, à vivre mieux, pour moi-même, pour les miens, pour les tiens et tous ceux et celles, de notre Québec et de notre monde, pour lesquels tu as consacré tant de ta vie, de ton énergie et de ton amour.
Merci encore une fois, Jacques, d’avoir été qui tu as été parmi nous, tant de «nous» divers et de tant de manières. Tu as été un porteur de flambeau (lumière, justice, simplicité, bonheur et amour). Repose en paix : nous prenons le relais.
Dominique
Permalien
Salut Dominique,
Je termine la lecture de tes textes et ne peut qu’en souligner les qualités réflexives, affectives et littéraires. Et je ne suis pas loin d’adhérer à ta vision des choses pour ce qui concerne les circonstances de la mort de Jacques.
Merci pour cette émouvante réflexion. Si jamais tu bien à Sutton, fais-moi signe, je te paie une bière.
Henri
Permalien
Nous sommes le 18 novembre. Étant abonné à l’Action nationale, c’est la lecture du CR de l’ ouvrage posthume de Jacques qui m’a conduit à ce blogue.
Le commentaire d’Henri Lamoureux, que j’ai croisé et lu il y a quelques décennies, m’a incité à en faire autant. J’ai connu Jacques au début des années 90, je crois, suite à un de ses articles dans Le Devoir, alors que demeurais à l’époque à Trois-Rivières. C’est ainsi qu’à une autre occasion, toujours grâce au Devoir, je lui avais exprimé ma reconnaissance de m’avoir avoir fait connaître Compte-Sponceville. Quand j’ai publié en 2000 un opuscule sur l’économie sociale, je le lui ai fait savoir et il m’avait dit qu’il en prendrait connaissance et si nous points de vue convergeaient, il m’inviterait à le présenter lors d’un colloque. Ce qui fut fait à Québec l’année suivante. On se croisait avec plaisir lors d’événements reliés à l’économie sociale. Mais, la toute dernière fois où je l’ai croisé fut à la maisons de la Société St-Jean-Baptiste, 82 rue Sherbrooke O. C’était à l’occasion de la commémoration du 50è anniversaire de la conversion du RIN en parti politique. Jacques avait, comme toujours, ce sourire qui trahissait sa joie de vivre et toute sa chaleur humaine.
Je suis donc tombé à la renverse en apprenant, il y a une heure, qu’il s’est donné la mort. Même si j’ai très peu connu Jacques, le tableau que décrit ici D. Boisvert correspondant à l’image que je conserve de lui.