Presque impossible de dire, avec précision, à quoi aura servi la semaine du Forum social mondial (FSM) tenu à Montréal au début d’août 2016. Parce que ce vaste «happening» politico-socio-culturel d’ambition planétaire comporte tellement de dimensions diverses qu’il est forcément réducteur d’en chercher une synthèse qui satisfasse notre appétit naturel pour les faits mesurables: nombre de participants, pays de provenance, ateliers, conférences, résolutions adoptées, plan d’action arrêté, etc.
Né en 2001 à Porto Alegre, au Brésil, comme une sorte de contre-sommet au Forum économique de Davos qui réunit chaque année les élites économiques et politiques de partout, le FSM est tout de suite devenu le rassemblement de ce que l’on a rapidement appelé le mouvement altermondialiste, porteur d’une mondialisation autre que celle qu’impose l’économie néo-libérale et inventeur du slogan «Un autre monde est possible».
Depuis, réuni plus ou moins chaque année (Montréal était le 12e FSM et le premier à se tenir dans un pays du Nord), le FSM s’est promené d’Amérique latine en Asie, avec plusieurs arrêts en Afrique (noire et du Magreb), certaines éditions regroupant jusqu’à plus de 150,000 participantEs. Mais en plus des Forums mondiaux eux-mêmes, la dynamique du FSM s’est démultipliée en Forums continentaux, régionaux, thématiques, etc. Si bien qu’on peut maintenant parler d’une sorte de nébuleuse altermondialiste, caractérisée par une manière de procéder nouvelle et commune: rassembler des acteurs sociaux de partout, dans un processus d’auto-organisation égalitaire et non hiérarchique, pour leur permettre de mettre en commun leurs expériences, leurs analyses et leurs projets, sans mécanisme de délibération visant à déboucher sur l’adoption de propositions communes ou contraignantes, mais avec un souci (et des moyens) de convergences entre les diverses luttes, positions et propositions.
D’ailleurs, parmi les principes essentiels des FSM, on note «le forum comme espace ouvert», la non-directivité des organisateurs (agissant plutôt comme facilitateurs), l’auto-organisation et l’autogestion des activités offertes et le refus d’une «Déclaration finale» commune.
On constate ici la grande différence entre ce type de rassemblement et la plupart des rencontres d’envergure habituelles: les participants n’ont pas de mandat à défendre, ne sont généralement pas des élus, des officiels ou des «gros noms», l’objectif n’est pas d’arriver à des «résultats concrets ou des échéanciers précis». Il s’agit plutôt d’un processus de renforcement de la société civile, d’inter-fécondation des analyses et de maturation des projets, dans l’espoir qu’il en sortira des alliances et des actions multiples et multiformes dont il est difficile de mesurer l’impact, sinon a posteriori.
Pour prendre l’exemple précis du FSM de Montréal, environ 35,000 personnes ont pris part à l’une, plusieurs ou l’ensemble des activités du FSM. Environ 1200 activités ou ateliers autogérés ont été proposés, Plus d’une vingtaine de «grandes conférences» et des dizaines d’assemblées de convergences se sont tenues. Cinq forums mondiaux thématiques ont eu lieu en parallèle avec le FSM, qui ont rassemblé des centaines de participantEs autour de thèmes comme «Théologie et Libération», les «médias libres», les parlementaires progressistes, les premières nations et le second «Forum social mondial thématique pour un monde libéré de la fission nucléaire civile et militaire ».
C’est pourquoi il est si difficile de mesurer l’impact précis d’un tel événement, surtout à court terme. Car les rencontres faites sur place, les échange amorcés à cette occasion, les alliances ébauchées ou les projets mis en commun ne déboucheront sûrement pas tous sur des résultats concrets, mais certains le feront sûrement. Et si certains de ces résultats concrets peuvent aboutir dans un avenir prochain, il y a fort à parier que la plupart d’entre eux ne se manifesteront que peu à peu, au fil du temps ou même des années.
Une dernière raison pour laquelle l’évaluation d’un tel événement est si difficile est qu’à peu près personne (sauf peut-être, jusqu’à un certain point, le «noyau central du comité organisateur») ne peut avoir une vue d’ensemble de l’événement. Personne n’a pu assister (ou même lire des compte-rendus, quand il y en a eu) à l’ensemble des ateliers offerts, à l’ensemble des conférences données (il y en avait chaque soir 5 ou 6 en même temps dans des lieux différents), à toutes les manifestations culturelles ou artistiques qui ont eu lieu, etc.
C’est pourquoi la «dynamique organisatrice» d’un tel FSM est si capitale. Car ces vastes rassemblements de militants si diversifiés ne sont pas aussi anarchiques ou cacophoniques qu’on pourrait le croire. Les FSM ne s’improvisent pas. Un comité international veille à coordonner les efforts déployés un peu partout et au respect de la «Charte des principes et des orientations pour l’organisation des forums» adoptée en 2002. Et si personne ne «dirige» quoi que ce soit, de nombreux acteurs des FSM, de manière décentralisée et le plus souvent autonome, se penchent sur les divers forums pour en tirer des leçons, en montrer les fruits, en faire certains bilans.
Impossible donc de résumer les activités offertes à Montréal (le programme faisait 110 pages!). Contentons-nous de dire qu’elles se regroupaient autour de 13 thèmes: alternatives économiques, démocratisation de la connaissance, culture de paix et lutte pour la justice, décolonisation et autodétermination des peuples, droits de la nature et environnement, luttes globales et solidarité internationale, droits humains et sociaux, luttes contre le racisme, la xénophobie, le patriarcat et les fondamentalismes, dictature de la finance et partage des ressources, migrations et citoyenneté sans frontières, démocratie et mouvements citoyens, monde du travail face au néolibéralisme, et expressions culturelles, artistiques et philosophiques pour un autre monde possible.
Dans tout cet éventail de possibilités, j’ai personnellement présenté ou suis intervenu dans cinq ateliers portant sur la simplicité volontaire, la religion, deux sur la guerre, et la nonviolence.
Une première dans l’hémisphère Nord
Terminons en mentionnant que cette première expérience d’un FSM tenu dans l’hémisphère Nord a permis d’identifier certaines réalités spécifiques. Les populations locales du Nord sentent moins le besoin pressant d’un «autre monde» (et donc l’intérêt à participer à un FSM) que les populations du Sud. Les inscriptions locales ont beaucoup tardé. Et c’est le réseau important d’organismes communautaires et le dynamisme de la société civile au Québec qui a permis au FSM de Montréal de faire malgré tout bonne figure aux yeux du reste du monde (le grand nombre d’activités offertes en témoigne, puisqu’une majorité l’étaient par des groupes et des individus d’ici).
Par contre, le fait de tenir le FSM dans un pays du Nord a posé toutes sortes de problèmes pour la participation des militantEs du Sud: non seulement un grand nombre de participantEs se sont vu refuser un visa leur permettant de venir prendre part au FSM de Montréal, mais le coût du voyage vers le Canada, pour les populations moins nanties du Sud, constitue un obstacle infiniment plus important pour elles que le coût d’un voyage vers les pays du Sud pour les militantEs mieux nantiEs du Nord. Ce qui, ajouté à la démographie des pays impliqués, explique une participation globale généralement beaucoup plus importante quand les FSM se tiennent dans l’hémisphère Sud.
Bien sûr, faire de l’action politique partisane, à Québec solidaire ou ailleurs, ne peut se faire de la même manière: on doit avoir des porte-parole, un programme défini, une organisation et un mode de délibération et de décision précis. Pourtant, les idées développées dans les FSM peuvent alimenter notre action politique et nous aurions sans doute intérêt à nous inspirer davantage de cette démarche de démocratie participative.
le 21 octobre 2016
(Texte rédigé pour Liaison solidaire, bulletin de Québec solidaire Châteauguay, et pour la revue Vents croisés.)