UNE BATAILLE QUI SE POURSUIT
Christine Pedotti
La bataille du Vatican, 1959-1965
Paris, Plon, 2012, 574 pages
Il y a 50 ans s’ouvrait à Rome un Concile qui allait changer l’Église : un pape qu’on croyait « de transition », Jean XXIII, avait osé convoquer, moins de trois mois après son élection, les 2500 évêques du monde entier pour « ouvrir les fenêtres » de l’Église et procéder à son « aggiornamento » (mise à jour). Soigneusement préparé pendant près de quatre ans par le « gouvernement » ecclésial (la Curie romaine) et prévu pour durer quelques semaines, le Concile Vatican II fut au contraire un événement planétaire, suivi par les médias de partout pendant plus de trois ans. Pourquoi?
Parce que dès les premiers jours, rien ne se passa comme prévu : les plans de la Curie se heurtèrent à la prise de parole du Cardinal Liénart d’abord, réclamant du temps pour permettre aux évêques de se connaître, puis à la dynamique enclenchée par cette prise de parole de la « base », c’est-à-dire les Pères conciliaires eux-mêmes par opposition aux « fonctionnaires » de l’Église. Opposition qu’on allait bientôt nommer « progressistes – conservateurs » et qui allait caractériser le Concile jusqu’à son tout dernier jour. Une bataille sourde, féroce, où (presque) tous les coups sont permis, au nom même de l’amour de l’Église et de la fidélité à Dieu! Une bataille qui se poursuit encore aujourd’hui.
C’est cette bataille que raconte l’auteure, d’une manière exceptionnellement vivante et documentée. Grâce aux documents d’époque, et en particulier aux journaux et témoignages personnels des principaux acteurs du Concile, de plus en plus accessibles, Christine Pedotti nous fait vivre ces affrontements presque au jour le jour. Le procédé littéraire qu’elle a choisi donne tour à tour la parole aux principaux protagonistes (tel personnage, telle date, tel lieu), nous faisant ainsi voir l’ensemble des perspectives qui s’opposent à travers les yeux et les émotions des acteurs eux-mêmes. Le livre nous conduit ainsi de l’annonce du Concile (25 janvier 1959) jusqu’à la messe de clôture (8 décembre 1965), partageant avec nous les espoirs et les angoisses aussi bien des Pères de la majorité progressiste (plus de 2000 évêques) que ceux de la minorité traditionaliste (jamais plus de 250 voix, venues essentiellement de la Curie, des évêques italiens et espagnols), la confiance de Jean XXIII et les agonies de Paul VI, la participation déterminante des divers experts théologiens (Congar, Ratzinger, Kung, etc.) et le rôle important mais imprévu que joua l’opinion publique dans l’aventure du Concile.
Car c’est bien d’une aventure qu’il s’agit : celle d’hommes (car les femmes sont à peu près absentes de cet univers ecclésial) qui cherchent à discerner où souffle l’Esprit Saint dans un monde devenu si différent du passé et progressivement autonome, voire étranger, face à l’Église. Où est Dieu? Comment en être les témoins? Comment parler aux humains une langue qu’ils puissent comprendre? Comment être fidèles à son héritage (la Tradition) tout en étant résolument ouverts aux questions et aux besoins du présent et de l’avenir? Tout cela se joue aussi bien à travers la négociation des textes conciliaires eux-mêmes qu’à travers les guerres de procédures, chaque partie en appelant au Pape pour qu’il penche en sa faveur. Comme quoi Dieu n’agit toujours qu’à travers nos comportements bien humains!
La bataille du Vatican se complète, en Annexes (pp.511-566), d’une chronologie, d’une présentation sommaire des 16 textes conciliaires (avec les résultats du vote pour chacun), d’une présentation des principaux acteurs du Concile et d’un Index détaillé.
On peut se demander, 50 ans plus tard, s’il s’agit de « la guerre perdue de Vatican II », pour reprendre le titre du documentaire télévisuel percutant de Patrick Benquet diffusé récemment. Ou même « Faut-il faire Vatican III? », titre du plus récent livre de Christine Pedotti elle-même (Tallandier, 2012). Mais une chose est certaine : le Concile Vatican II a mis en branle une dynamique qui n’a pas fini de nous questionner.
(Publié dans Relations)