Je sais, la formule n’est pas aussi habituelle que « premières impressions ». Mais c’est vraiment de deuxièmes impressions qu’il s’agit…
Impressions, parce que malgré trois mois passés à Scotstown, la connaissance d’un milieu ne peut être encore que superficielle. Il s’agit donc encore de perceptions subjectives.
Mais deuxièmes, parce que contrairement aux premières, elles ont deux mois de plus de recul et de « validation ». Ce qui permet d’ailleurs de réaliser à quel point l’assurance avec laquelle on envoie ses premières impressions est forcément un peu téméraire et appelle à un peu plus de modestie! Prière de garder en tête cette « auto-mise en garde » en lisant les affirmations apparemment péremptoires qui pourraient suivre…
La vie en région
S’il est une impression qui demeure, c’est bien celle de l’immense différence qui existe entre « vivre en ville » (et plus la ville est grosse, plus c’est vrai!) et « vivre en région ». Pas même besoin que ce soit une région « éloignée » : les « régions » me semblent être toutes culturellement éloignées, même quand elles ne le sont pas tellement géographiquement. Et l’impression que les décisions (politiques, économiques et culturelles) pour les régions sont souvent prises à Québec et à Montréal par des gens qui ne connaissent rien aux régions (comme celles qui concernent les autobus ou les métros sont très souvent prises par des gens qui ne les fréquentent pas!).
Bien des différences sont évidentes : nombre d’habitants (et avec lui « anonymat », relations et ragots), niveau de stress, proximité de la nature, services commerciaux ou culturels réduits, distances plus grandes (en km mais pas nécessairement en temps), etc.
Mais il est d’autres différences plus subtiles (et certainement variables selon les endroits) et elles me semblent relever fondamentalement du domaine culturel : on ne voit pas la vie de la même façon en ville et en région. Ce sentiment d’aliénation, de coupure (« eux » vs « nous ») que ressentent plusieurs banlieusards (le fameux 450) à l’égard de la grande ville (voir, par exemple, les sentiments éprouvés à l’égard de ce qu’on perçoit comme la « République du Plateau » à Montréal), bien des gens des régions le ressente aussi à l’égard des urbains en général (et les banlieusards font évidemment partie des urbains!).
C’est un peu comme si les grands centres (« la ville ») ont, en raison de leur importance et de leur densité démographiques, le monopole des pouvoirs, des savoirs et des réalisations « qui comptent » dans notre monde financiarisé et mondialisé. Tandis que les régions vivent une vie plus simple, plus ordinaire, plus humaine, un peu « en marge » ou « à la remorque » des « moteurs » de notre société. Si on prend l’exemple des médias, les seuls qui « comptent » vraiment, qui influencent l’opinion publique québécoise et les décideurs, sont ceux de Montréal (et, dans une moindre mesure, de Québec). Mais tous les autres médias régionaux (même quotidiens là où il y en a) sont non seulement des succursales de Montréal mais ont une influence limitée au seul niveau régional ou local.
Les seuls domaines où les régions peuvent avoir un véritable « rôle moteur » sont ceux des ressources naturelles spécialisées (les mines, le pétrole, la mer à Rimouski, etc.), que ce soit au niveau des entreprises ou des recherches universitaires. Mais même là, beaucoup des décisions à ce sujet sont quand même prises à Montréal et à Québec!
Donc une vie en région plus simple, plus ordinaire, plus humaine, disais-je. Certainement moins accélérée et trépidante qu’en ville, où les questions fondamentales se posent de façon plus évidente parce que le « modèle dominant » du capitalisme mondialisé impose moins sa loi : à quoi sert-il de vivre? Est-ce que je veux gagner le plus d’argent possible? Est-ce que je veux (peux) fonder une famille dans mon village (région) d’origine? Quels sont les services essentiels dont nous avons besoin ou que nous voulons nous donner comme collectivité (le compte de taxe prend ici une réalité infiniment plus concrète qu’en ville)? Quels sont les liens que je veux (dois) entretenir avec mes voisins (parce qu’à Scotstown, presque tous les habitants sont plus ou moins des « voisins »)? Etc.
Et au moment où on s’apprête à souligner (dans trois jours) le premier anniversaire de la terrible tragédie de Lac-Mégantic, je peux témoigner que même Lac-Mégantic (environ 6000 habitants) est une « ville » qui vit « en région » : les débats qui entourent la reconstruction du centre-ville, les pouvoirs de décision pour tout ce qui la concerne (du chemin de fer à l’urbanisme), le sentiment d’aliénation malgré toute la solidarité qui s’est exprimée, tout cela traduit éloquemment, malgré son caractère exceptionnel, de ce que j’ai écrit ci-dessus.
Ma vie à Scotstown
Je suis toujours agréablement surpris du plaisir que je trouve à vivre à la campagne.
La lune de miel est finie (entre autres avec les ennuis –mineurs—de santé que j’ai connus en juin et l’expérience éprouvante du déménagement de notre ancien appartement en entrepôt à Montréal, du 13 au 20 juin). Mais nous étions très contents de revenir enfin « définitivement » (du moins jusqu’au 30 juin 2015) chez nous à Scotstown. Et de mon côté, j’ai l’impression que c’est maintenant que l’expérience commence vraiment…
D’abord parce que j’ai commencé avant-hier (le 2 juillet) mon organisation du temps et du travail que j’avais prévu commencer le 2 avril : considérons que les trois premiers mois étaient des « vacances d’apprivoisement »!
Ensuite, justement parce que la lune de miel est finie : nous nous installons peu à peu dans notre nouvelle réalité et devons décider de ce que nous ferons de cette année qui commence. Céline commence à toucher à ses crayons et couleurs et je commence à écrire un peu plus.
Mais une fois cette constatation faite, tout reste à préciser : je me retrouve vraiment à la ligne de départ. Avec les questionnements (intéressants) qui vont avec tous les départs. Je vous en reparlerai…
Quant à la vie quotidienne, elle continue d’être aussi belle que diversifiée : entretien des alentours de la maison (gazon, fleurs, sentiers dans le boisé), accueil des amis-familles-visiteurs, rencontres de village ou de voisinage (fête de la St-Jean, fête de la pêche, Grand Tour du Lac Mégantic), exercice physique (vélo, marche, travail manuel), exploration de la région (nous sommes allés, pour la première fois, à l’Observatoire du Mont Mégantic avec les neveux de Céline et leurs enfants), repas au Resto du village qui vient d’ouvrir, chorale de la paroisse pour les célébrations dominicales (un samedi aux deux semaines) et les funérailles (deux depuis notre arrivée), beaucoup de lecture (livres, mais aussi journaux et bulletins locaux ou régionaux), télévision (dont le sport qui ne dérougit pas, des séries éliminatoires du Canadien au Mundial de football en passant par les exploits de Milos Raonic et d’Eugénie Bouchard au tennis, et les bons films grâce au câble, à ARTV et à TFO), etc., etc.
Bref, comme je le disais à des amis qui me demandaient ce que je faisais de mes journées : « Je ne sais pas trop ce que je fais, mais je sais que je n’ai pas assez de temps pour le faire! »
Pour plus de détails et une écriture nettement plus poétique, consultez les « chroniques » de ma compagne Céline. CertainEs les reçoivent peut-être déjà. Sinon, vous n’avez qu’à manifester votre intérêt…
(à suivre…)
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Tellement intéressant de te lire…vite la suite!
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Bonjour Dominique
J’aimerais bien recevoir les ( chroniques) de ta compagne Céline.
Je suis très contente de m’être inscrite pour pouvoir te lire et avoir tes impressions sur la vie en région.Par moment j’ai l’impression d’être un peu avec vous et de vivre cette aventure qui me semble être très
passionnante.Pour ma part maintenant que je vis à Trois-Rivieres pour le travail,je m’ennuie de ma petite ville ou tout était plus calme et paisible.La grande ville est beaucoup plus trépidante et rapide .Les gens sont stressés ,ils ne se préoccupent pas des autres (c’est chacun pour soi) …enfin
A ma retraite ,dans 2ans environ je retournerai vivre dans mon petit patelin et retrouverai cette tranquillité qui me manque tellement.Moi aussi je m’occuperai de mes fleurs en saison ,ferai de la lecture à profusion,suivrai des cours ainsi qu’un projet qui mijote dans ma tête ,celui de faire du bénévolat .
J’ai bien hâte de te relire bientôt ,continue de nous faire vibrer par tes mots .
Cousine Elizabeth
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Tu mets le doigt sur de vrais problèmes. La coupure entre la réalité des grandes villes, là où se prennent les décisions se révèlent profondes d’autant plus que les dits « décideurs » estiment trop souvent que leurs perspectives urbaines devraient s’appliquer d’une manière univoque à tout le Québec. Les différences se manifestent beaucoup autant au plan des mentalités que des politiques, d’autant plus que les informations qui circulent dans les régions diffèrent souvent de celles des villes, particulièrement au niveau des médias de communication régionaux.
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Merci pour tes écrits qui nous permettent d’être un peu moins éloignés. Merci aussi à Céline!
À un de ces jours!