Le dossier du numéro de Décembre 2018, Janvier-Février 2019 de la revue Rencontre, le magazine du Centre culturel chrétien portait sur différents aspects de la crise des abus sexuels dans l’Église catholique. Voici le texte de ma contribution.
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La crise des abus sexuels dans l’Église, déjà ancienne, devient de plus en plus aiguë et insoutenable, particulièrement dans certains pays. La plupart des autres articles du dossier en traitent : je n’ajouterai rien ici.
Car la crise dans l’Église est beaucoup plus vaste, ici-même au Québec comme un peu partout ailleurs en Occident : crise d’identité, crise générationnelle, crise organisationnelle, crise de crédibilité, parmi d’autres.
Crise d’identité
L’Église (voulant ici dire à la fois la catholique et les chrétiennes) se cherche dans la Modernité. Après avoir occupé, dans plusieurs sociétés, une place très importante sinon prépondérante, elle a été plus ou moins brutalement été jetée de son piédestal et n’occupe plus, presque nulle part, de rôle d’autorité. Avec la séparation de l’Église et de l’État, elle a été reléguée dans la sphère du privé et peine, dans plusieurs pays, à se trouver une place dans les débats de l’espace public.
De plus, les Églises traditionnellement assez monolithiques et normatives se sont graduellement fragmentées en multiples sous-groupes, à la fois au niveau institutionnel (les très nombreuses nouvelles Églises qui surgissent un peu partout) et au niveau dogmatique (les différences théologiques et pastorales sont devenues de plus en plus visibles, y compris dans l’Église du pape François).
Enfin, les Églises qui ont détenu, pendant des siècles, le quasi-monopole du «sens» dans les sociétés sont maintenant en compétition avec d’innombrables prétendants, des plus sérieux aux plus frivoles : philosophies, marché économique, œuvres d’art, courants culturels, grands organes d’information et innombrables médias sociaux.
Crise générationnelle
Au Québec comme ailleurs en Occident, les Églises font face à de sérieux problèmes de transmission et de renouvellement. Comme si les religions organisées avaient fait leur temps et ne correspondaient plus aux aspirations et aux besoins des nouvelles générations.
Les «pratiquants», de moins en moins nombreux, sont presque tous des têtes blanches et, passés les sacrements d’initiation (qui ont encore un certain attrait pour de nombreux parents non pratiquants), on ne revoit plus les jeunes ni à l’église, ni dans des activités ou mouvements associés à celle-ci.
Et les deux autres grandes étapes de la vie, traditionnellement rattachées à l’Église (le mariage et la mort) sont elles aussi de plus en plus sécularisées : on ne se marie plus beaucoup, et quand on le fait, c’est de plus en plus rarement à l’église; quant aux funérailles, elles aussi souvent dépourvues de leur sens religieux, elles sont de plus en plus vécues ou célébrées dans les salons funéraires.
Crise organisationnelle
Dans ce contexte, la crise organisationnelle devient inévitable : la diminution et le vieillissement démographiques entraînent forcément une baisse des revenus dans un monde où tout coûte sans cesse plus cher. D’où une crise financière qui force de plus en plus d’églises à fermer et de communautés chrétiennes à se regrouper ou à se recomposer.
Mais cette crise organisationnelle est beaucoup plus que financière. La «main d’œuvre religieuse» (prêtres, religieux et religieuses, personnel ecclésial laïque rémunéré ou bénévole) se fait elle aussi de plus en plus rare et âgée. Déjà l’organisation territoriale traditionnelle des Églises n’est plus tenable : nous sommes huit municipalités réparties autour du Mont-Mégantic regroupées en une seule paroisse ; et même si la plupart ne reçoivent la célébration eucharistique qu’aux deux semaines, cet arrangement fragile repose sur une équipe de prêtres dont plusieurs ont bien dépassé l’âge de la retraite et qui est aussi responsable d’au moins une demi-douzaine d’autres paroisses.
Et je ne parlerai pas ici des problèmes de centralisation à Rome, de la place à la fois essentielle et subordonnée des femmes dans l’Église (catholique, du moins), de l’aspect hiérarchique, clérical et pyramidal de notre Église, de l’absence d’une culture de liberté de parole et de débat, etc.
Crise de crédibilité
Les responsables ecclésiaux souffrent, comme toutes les «élites» présentement (politiciens, journalistes, intellectuels, milieux économiques et culturels, etc.), d’un sérieux déficit de crédibilité. Comme si tous les laissés-pour-compte de notre société en avaient marre de ceux qui ont dirigé jusqu’ici, souvent sous couvert d’expertise, dans un monde de plus en plus complexe : ils sont prêts, pour cette raison, à donner le pouvoir à tous les «messies» populistes qui répètent que les problèmes sont simples et qu’ils vont tout régler.
Autre défi pour l’Église : être témoin sur terre d’une Transcendance dont l’existence et la pertinence même sont de plus en plus remises en question. L’expérience religieuse, inséparable d’une communauté, est aussi mise à mal dans une société qui favorise, de multiples manières, l’atomisation en une multitude d’individus juxtaposés.
Mais plus fondamentalement encore, les responsables d’Église ont de plus en plus perdu leur crédibilité, individuelle et collective, à force de relayer une parole déconnectée des personnes et de leurs cultures, tant dans la manière de communiquer que dans le contenu de la communication (contraception et morale sexuelle, entre autres). Une organisation d’hommes (célibataires et âgés, en plus) qui se mêle d’imposer des normes aux couples, aux femmes et aux familles n’a déjà pas beaucoup de crédibilité. Mais quand s’ajoute la crise doublement scandaleuse des abus sexuels dans l’Église (les gestes eux-mêmes, qui contredisent douloureusement l’enseignement proclamé en plus d’être criminels ; mais peut-être pire encore, le voile du secret et de la résistance qui a cherché, au plus haut niveau et le plus longtemps possible, à cacher ces gestes et à en repousser la responsabilité), alors là la crédibilité qui reste vole en éclats.
Pourquoi je reste dans l’Église
Pourquoi rester, alors ? Je ne reste pas pour l’Église mais pour Dieu. L’Église n’est que le messager ; le message est la Bonne Nouvelle de l’Évangile. L’Église est une institution humaine, limitée et faillible comme toutes les institutions. Mais elle est aussi un chemin, imparfait et nécessaire, entre la Transcendance et nous, les humains.
Dieu (ou quel que soit le nom qu’on lui donne) m’a fait le cadeau de son Amour. Cette «expérience» m’a été transmise à travers l’Église et ses innombrables témoins au fil des siècles (les meilleurs comme les pires). Je ne voudrais pour rien au monde me priver de cet Amour. Et surtout pas parce que le messager n’était pas (toujours) à la hauteur de son message.
L’Église est en crise, à de multiples niveaux. Comme pour les changements climatiques, je ne sais pas si nous réussirons, ou non, à relever (complètement) le défi. L’issue finale ne relève pas de moi, sinon pour ma petite part qu’il m’importe de contribuer. Avec humilité. Et avec confiance.
Scotstown, le 15 novembre 2018
(Texte publié dans le vol. 8 no 25 du magazine RENCOTRE, pages 30-31)