Quand nous avons des convictions (sociales, politiques, idéologiques ou religieuses), nous sommes généralement convaincus d’avoir raison. C’est normal: c’est le sens même du mot « conviction »!
Et pourtant, « l’autre » qui pense différemment, qui a d’autres convictions, est tout aussi assuré d’avoir raison.
Apprendre à se « mettre dans les souliers de l’autre » est un progrès fondamental dans l’évolution du genre humain. S’ouvrir, se mettre à l’écoute, essayer de comprendre est une attitude essentielle pour que puisse exister toute société.
Est-ce à dire que tout se vaut, que chacun a (sa) raison? Non, évidemment: croire qu’il faut décapiter quelqu’un au nom d’une cause (d’un bien) supérieure n’est évidemment pas la même chose que de croire qu’il faut « aimer même ses ennemis ».
Et pourtant, s’appuyer seulement sur son « sentiment d’avoir raison » (en anglais, righteousness) équivaut souvent à du pharisaïsme ou à une hypocrisie plus ou moins inconsciente (la parabole de « la poutre et la paille dans l’oeil » rapportée dans l’Évangile): si nous avons raison, c’est forcément parce que l’autre a tort…
On en a un exemple patent et tragique ces jours-ci: nous sommes horrifiés, en Occident, par les décapitations « barbares » exécutées par l’État islamique; alors que nous sommes inconscients (pour la plupart d’entre nous) que nous, les Occidentaux, ne nous contentons pas de décapiter mais que nous déchiquetons, littéralement, de très nombreuses personnes grâce aux bombes larguées du haut des airs par les drones américains (voir à ce sujet l’excellente, et décapante, analyse faite par le philosophe québécois Jacques Dufresne dans L’Agora).
Ajoutons à ce « deux poids, deux mesures » que l’Arabie Saoudite, le principal allié arabe des États-Unis dans la Coalition recherchée pour combattre l’État islamique, a elle-même exécuté 22 personnes en l’espace de deux semaines, le mois passé, dont 8 par décapitation. Selon Amnistie International, la plupart des personnes mises à mort n’avaient commis aucun crime mortel: quatre membres d’une même famille ont même été décapités pour avoir « accepté de la drogue ».
Dépasser la critique de nos comportements
Mais l’objectif de ce billet n’est pas d’en rester au constat critique de nos comportements et de nos jugements. Il est surtout d’inviter à dépasser ceux-ci et de proposer un chemin concret pour y arriver. Et ce chemin, je le trouve dans la longue tradition de la nonviolence et du travail pour la paix: l’apprentissage de s’ouvrir au pardon, accordé et reçu.
Tout le monde sait combien il est difficile de pardonner (vraiment) à quelqu’un qui nous a (vraiment aussi) fait du tort. Le vieil adage « Œil pour œil, dent pour dent » explique une bonne part des violences et des guerres qui déchirent la planète.
Et pourtant, sans la capacité de pardonner, de dépasser la blessure et la douleur de l’offense, il est terriblement difficile de considérer « l’autre » comme son vis-à-vis, son égal, avec qui dialoguer pour faire la paix. Car comme le rappelait une bonne amie à moi, Francine Tardif, « c’est avec ses ennemis qu’on doit faire la paix, pas avec ses amis »!
À ce sujet, deux films importants.
D’abord le documentaire québécois de Denis Boivin, Le Pardon, tourné en 1992, et qui avait suscité beaucoup de controverses lors de sa diffusion à la télévision. Non, il n’est pas facile de pardonner.
Mais cela s’apprend, comme en témoigne le remarquable documentaire américain de 2012 Beyond right and wrong. Ce film, qui traite de situations aussi explosives et différentes que le génocide rwandais, l’interminable conflit israélo-palestinien et la guerre fratricide d’Irlande du Nord, montre comment, concrètement, des ennemis d’hier sont parvenus à dépasser leurs antagonismes et leurs raisons de haïr pour arriver peu à peu à faire la paix.
C’est l’organisme québécois Antennes de paix, partenaire québécois de Pax Christi International, qui a signalé à ses membres l’existence de ce film particulièrement pertinent pour la Journée internationale de la paix, le 21 septembre dernier.
Et chose intéressante, grâce à des partenariats obtenus en 2014, le film est non seulement visionnable gratuitement sur Internet mais chaque visionnement permet de financer (modestement) un organisme charitable choisi par le spectateur. L’objectif des promoteurs est de faire voir le film à un million de spectateurs.
Je conclus en remerciant Antennes de Paix et le Père John Walsh de nous avoir fait connaître cette précieuse ressource. Et je laisse le dernier mot à une amie du Père Walsh qui lui écrivait:
I have difficulty with forgiveness. I try to deal with it. I am in awe of people like
Mrs Edwards who has forgiven Marc Lepine, the man who shot her daughter, or of Christine French’s mother for forgiving Paul Bernardo. Yet without forgiveness peace cannot be achieved. Meeting those who have forgiven is helpful.
I’m sending you something meaningful and worthwhile. There is no money to send but
if you do watch the film – the charity you select from the list offered will receive a donation. How neat is that?
The donation makes the effort to watch this documentary film worth it. See the forgiveness of a daughter in Northern Ireland, two fathers (Arab/Jew) forgive in Israel, the acceptance of a mother in Rwanda etc.
Indeed perhaps forgiveness is as the title of the film suggests: « Beyond right and wrong ».
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Remarquable film à propos de gens remarquables qui assument un passé douloureux en allant au bout d’une démarche de paix: toute mon admiration!
Pierre
http://www.artistespourlapaix.org
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Merci Dominique de nous avoir mentionnés. Nous avons aussi , à de nombreuses reprises condamné l’usage des drones et rappelé que ce ne sont pas que des Occidentaux qui sont décapités.
L’Arabie saoudite ne fait pas qu’exécuter: elle fouette aussi. Nous tentons d’empêcher que soient administrés à Raif Badawi les 1 000 coups de fouet auxquels il a été condamné. La sentence serait exécutée par tranches de 50 coups, tous les vendredis après la prière, sur la place publique.
Par ailleurs, les gens confondent souvent pardon et impunité. Parmi les moments les plus touchants de mes années avec Amnistie, ce sont les témoignages de victimes de la torture -Imen je pense à toi ! – qui réclament justice, et qui, aussi, pardonnent.